Il y a des matins où le réveil sonne et on sait qu’on a fait une erreur. Pas une petite erreur — non. Une erreur monumentale, du genre “payer pour souffrir en cuissard”. Quatre heures trente du matin, la cafetière grésille, les bidons attendent sur le plan de travail, et dans le frigo, le riz froid a pris la consistance d’un plâtre gastronomique. Le seul moyen de manger, le restaurant de l'hôtel n'est évidemment pas ouvert avant 2 bonnes heures.
On appelle ça une préparation. On devrait dire un rituel sacrificiel. Sur le papier, tout est prêt : les gels, les pneus gonflés à 7 bars (nan pardon, on est en 2025, on dit plutôt 5 bars), la pression au moral à 3,5. Le dossard pend comme une médaille inversée, promesse d’un jour qu’on n’oubliera pas — surtout le lendemain, quand il faudra descendre les escaliers.
Le départ, ce moment d’illusion collective
Sur la ligne, on sourit. On se dit que cette fois, on va gérer. Les jambes tournent bien, le capteur affiche des chiffres rassurants, les copains plaisantent : “tranquille jusqu’au pied du col”. Mensonge collectif numéro un. Les premiers kilomètres sont une mise en scène : tout le monde fait semblant de rouler facile, alors que déjà, l’organisme révise ses priorités vitales. Le cœur grimpe plus vite que le dénivelé. Le souffle se fait politique : à la fois inspiré et plein de promesses intenables.
Le départ : illusion de contrôle
Sur la ligne, tout le monde joue la comédie. On se sourit, on s’encourage, on se persuade que “le plus dur, c’est de partir”. On se tourne vers les potes en disant "bon les gars, tranquille jusqu'au premier col hein".
Les jambes tournent, les watts s’affichent, le cardio reste sage. Le soleil se lève, la route est encore fluide, et pendant quelques kilomètres, on se croit intelligents. On pense à tout ce qu’on a préparé : la nutrition millimétrée, les zones de puissance, la montée reconnue sur YouTube. Mais la route se fiche des plans d’entraînement. Elle attend juste le moment où elle pourra faire payer chaque excès de confiance.
Quand la pente se dresse
Le vrai départ, c’est le premier col. Là où les discussions s’arrêtent, où la respiration devient le seul bruit qu’on entend. La montagne ne parle pas, elle évalue. Et elle a toujours le dernier mot. Les chiffres s’effritent, les jambes deviennent floues, la lucidité recule à chaque virage. On se dit que c’est “normal”, que c’est pour ça qu’on est venus. Et d’une certaine façon, c’est vrai : l’Étape du Tour, c’est ce moment précis où le corps commence à négocier avec le mental. Le premier demande une pause, le second répond “encore un peu”. C’est un dialogue absurde, mais personne ne veut raccrocher.
Le ravito : mirage collectif
Puis surgit la table salvatrice. Bananes tièdes, Coca sans bulles, bouts de fromage indéfinissables : le buffet du désespoir. Les trucs qu'on mange jamais dans la vraie vie avec dans l'ordre, une tartine de framboise, suivi d'un morceau de sauciflard, une banane et un morceau de comté pour finir... ça explose en bouge comme on dirait à Top Chef.
Les bénévoles sourient, et à cet instant, ils sont à mi-chemin entre des saints et des dealers. On remplit les bidons, on échange quelques mots, on ment un peu : “ça va, oui”. Puis on repart, parce que rester serait pire. La douleur ne disparaît jamais, elle change juste d’intensité. Et au fond, on l’aime bien comme ça : supportable, mais présente, comme une preuve qu’on est encore dedans.
La souffrance, oui. Mais toujours avec flair !
Chers lecteurs, la prochaine fois que vous vous surprendrez à râler sur votre VTT entre deux flaques de boue, ayez une pensée pour ces héros en lycra. Se faire mal, oui, mais toujours avec panache, style et la volonté d’ajouter sa touche personnelle à l’épopée cycliste.
Au final, une étape du Tour, c’est bien plus que du sport : c’est un défilé, une bataille, un spectacle… et un peu une école de la souffrance chic. Alors, quand viendra votre montée, faites comme les pros : souffrez, oui… mais surtout, souffrez avec style !
Le final
Les derniers kilomètres n’ont plus rien de glorieux. Ce n’est plus du sport, c’est de la gestion de crise. Les jambes ne répondent plus, le cerveau fonctionne sur batterie faible, et la ligne d’arrivée devient un concept lointain. Et pourtant, on avance. Par habitude, par orgueil, par instinct. Parce que s’arrêter maintenant n’aurait aucun sens. Quand enfin la ligne se dessine, personne ne lève les bras. On se contente de passer, de souffler, de s’asseoir. Et dans ce silence étrange, on comprend que tout ça valait la peine.
Parce qu’au fond L’Étape du Tour, ce n’est pas une course. C’est une expérience à part, un mélange de discipline, de douleur et de satisfaction primitive. C’est un moment où tout devient simple : avancer, tenir, encaisser. La douleur cesse d’être un problème, elle devient une compagne de route. Et quand tout s’arrête, il reste ce calme particulier, celui de ceux qui ont vidé le réservoir.
On pourrait croire qu’on en a fini, qu’on ne reviendra pas. Mais dès le lendemain, on y repense. On refait la montée dans sa tête, on imagine ce qu’on aurait pu mieux faire. Et sans vraiment le dire, on sait qu’on recommencera. Souffrir, oui. Mais souffrir ensemble, volontairement, avec ce mélange de lucidité et de folie douce qui fait qu’on appelle ça le cyclisme.